Présentation par Paul Ardenne à Paris le 24 octobre 2019
Bonsoir à tous.
On va parler de NAO.
Je voudrais remercier Catherine et Alexis de m’avoir invité à parler d’eux.
Je trouve ça très bien parce qu’ils ont initié quelque chose de très, très isolé, on peut dire dans le monde de l’art contemporain, ça serait une esthétique ou une poétique visuelle des gilets jaunes, d’une certaine façon. On peut en penser ce qu’on veut on peut s’y intéresser, pas s’y intéresser, mais moi je m’y suis intéressé.
Parce il y longtemps je me suis intéressé dans les arts plastiques à la question politique, aux formes de l’engagement, aux évolutions de l’engagement, ça a beaucoup changé. Vous parliez du temps du communisme tout à l’heure et même des situationnistes, essentiellement les années 1950 pour les situationnistes, pour les communistes le vingtième siècle.
Et vous savez sans doute que la question de l’engagement se posait dans des termes très différents puisque c’étaient des termes systémiques c’est à dire qu’on adhérait, on s’engageait pour des systèmes de pensée, même le situationnisme.
Par ailleurs, il faut rappeler qui était Guy Debord, ce qui le caractérisait c’était essentiellement sa très grande intolérance. C’est quelqu’un qui ne supportait pas la contradiction. Si vous vous en doutez, relisez l’échange qu’il a eu entre lui et un très grand penseur ; Il s’appelait Abraham Moles enseigné à l’université de Strasbourg qui était un cybernéticien, quelqu’un de passionnant hélas un peu trop oublié comme certaines idoles, et comment Moles fait une réflexion, une réflexion extraordinaire sur les situationnistes et comment finalement Debord le traite de haut et finalement, lui jamais ne pourra appartenir à ce mouvement, parce qu’au fond on sent qu’il n’a plus d’argument à opposer aux gens qui construisent une critique très bien pensée, très théorique.
L’engagement longtemps qu’est-ce que c’est ? C’est l’alignement d’une certaine façon, ce n’est pas une mauvaise chose, l’alignement. Si ce, sur quoi l’on s’aligne et ce pourquoi l’on s’engage sont des valeurs respectables, humanistes qui vont dans le sens de la deuxième aliénation qui vont dans le sens de l’émancipation humaine. Bon si c’est ce qui nous intéresse au fond c’est très bien.
On voit comment quand on s’engage d’une manière systémique on doit d’une certaine manière toujours accepter une partie du système avec laquelle on n’est pas forcément d’accord.
Et ça, ça fait évoluer le concept d’engagement qui sera théorisé notamment entre autres par Sartre en 1948, Jean Paul Sartre dans « Qu’est-ce que la littérature ? ». Sartre qui reprend la théorie de l’intellectuel global contre lequel après très justement on va construire ce qu’on appelle les intellectuels spécifiques, avec Michel Foucault et d’autres. Il y a les gens qui vont s’engager non pas sur la totalité d’un système ; le capitalisme, sa destruction, la nécessité du socialisme par antinomie, mais par exemple sur la question des prisons, sur la question des femmes, sur la question de serait-ce même que des intellectuels.
Alors la dernière évolution, c’est à celle-là que vous appartenez, née au vingtième siècle, c’est que moi j’ai appelé après Yann S. qui était un grand performeur, l’art contextuel, cette forme d’art contextuel, c’est à dire l’artiste réagit à des événements, donc d’une manière finalement qui peut être très improvisée parce que l’improvisation ici se détermine logiquement à partir d’une réalité qui peut être non organisée, non maîtrisée, compulsive, par exemple chaotique même le cas échéant.
Personne n’avait prévu si on parle des gilets jaunes, personne n’avait prévu l’irruption de ce mouvement, bon qui s’essouffle hein le fait est. Prenons pas mal, c’est l’objectivité qui nous intéresse. C’est un mouvement qui s’essouffle un an après. Mais bon c’est un moment qui a compté, c’est un mouvement qui comptera. Moi je suis historien de formation, historien contemporain et l’historien sent très bien quand un mouvement est important. Si vous voulez, quand on compare Nuit Debout de la République où je suis allé, je suis allé voir ça bien évidemment, Lordon & co et les gilets jaunes, on voit que la Nuit debout ça ne comptera pas et les gilets jaunes ça comptera historiquement pour de multiples raisons complexes.
Bon alors, NAO, donc artistes outsiders, N.A.O. maintenant des artistes outsiders, bon ça veut pas dire qu’il y en a avant vous, il y en a eu beaucoup d’autres, les premiers apparaissent dans les années 1960, dans différents domaines plastiques très politisés en général très à gauche plutôt ou même à l’extrême gauche en général avec un fond de pensée qui est souvent un fond de pensée marxiste oppositionnel au capitalisme et puis qui très vite va dégager on peut dire, des nouvelles voies, beaucoup plus plus critiques.
Donc des artistes contextuels, il y en a avant vous, il y en aura après vous mais vous, vous êtes ceux du mouvement des gilets jaunes. Et pourquoi ça m’a intéressé, c’est qu’au fond je fais partie des rares personnes, il y en a peut-être beaucoup que je ne connais pas mais qui ont essayé, non pas de mobiliser les artistes plasticiens pour les gilets jaunes, les gilets jaunes n’ont pas besoin qu’on se mobilise pour eux, chacun se sent gilet jaune ou pas, tel jour plus ou moins etc. etc. en fonction de sa situation.
Mais juste de voir comment un système de l’art, en l’occurrence en France pouvait ou non trouver une caisse de résonance créatrice dans ce mouvement des gilets jaunes, dans ce mouvement social. Et excusez-moi d’avoir constaté comme vous ici qu’en fait ça n’a eu aucune incidence pour ainsi dire dans le mouvement de l’art.
On a même parlé avec Kader Attia à la Colonie, un samedi après-midi de réflexion sur cette question, est-ce qu’on peut aujourd’hui imaginer que l’art contemporain soit connecté avec le mouvement des gilets jaunes, dont on peut dire tout et n’importe quoi, parce que c’est un mouvement compliqué qui va de l’extrême gauche au fond à l’extrême droite et tout ce qu’il y a au milieu entre les deux. Donc, il y a des choses que vous apprécierez, il y a d’autres que vous vomirez ou inversement.
Et d’une certaine manière, NAO que vous avez devant vous, sont les quasi uniques représentants des artistes qui ont, qui sont intervenus dans les manifestations. C’est aussi pour ça que ça m’a intéressé et j’ai voulu voir comment d’une certaine manière, un art institutionnalisé très fortement comme l’est l’art contemporain en France qui est un art qui se conditionne à travers un système, pouvait rester totalement imperméable au réel, au réel le plus immédiat alors que la plupart des artistes dans ce même système ne parlent ou ne prétendent parler que du réel, vous voyez. Ils parlent uniquement de la réalité moi, la réalité mon corps, ma vie, mon cul, mes voyages, ma résidence à la villa trou du cul etc. C’est formidable, je ne parle que du moi dans le monde, moi et le monde ou le monde et moi peut-être, mais en fait RIEN, déconnexion totale.
Et donc, ce qui m’intéresse ici, c’est la reconnexion, et je vais parler tout à l’heure de la question du bouquet de tulipes de Jeff Koons, et je vais l’aborder sur la question de cette déconnexion.
Enfin, le problème de l’art contemporain aujourd’hui ce n’est pas qu’il soit bien, pas bien, qu’il soit pour les riches ou je ne sais pas…trop cher… systématisé… institutionalisé… C’est juste qu’en fait, il se constitue presque on pourrait dire comme une sorte de continent qui s’est fracturé ! Une sorte de continent origine qui serait une sorte de mission de la créativité, rapport au monde, liberté d’imagination, émancipation du créateur à travers sa création etc… il s’est détaché de ça !
Et puis vous avez une espèce de système comme ça qui flotte comme une sorte de continent totalement déconnecté du monde dont on parle point, tel que la plupart des gens y compris moi qui ai passé ma vie à essayer d’enseigner à des étudiants à l’université ce qui était l’Art contemporain, la plupart des gens n’y comprennent plus rien alors on est dans des sommets d’idiot sacrasie, de personnalisation comme ça, qui ne sont jamais critiqués et qui finalement peuvent se développer avec la bénédiction d’un système qui à la fois glose ces œuvres-là, les met en valeur, les exposent, les instituent et finalement les vendent à des personnes qui les collectionnent en sachant généralement pas pourquoi ils collectionnent, parce qu’ils savent pourquoi, mais ils savent pas vraiment ce qu’il collectionnent.
Je remercie les NAO les artistes outsiders pour l’invitation à cette journée consacrée à l’art de la représentation d’artistes en connexion avec le réel social.
Je vous remercie. Bonne soirée à tous.
Paul Ardenne.
Propos retranscrits par Catherine Poulain (à partir de la vidéo de l’évènement NAO). Cofondatrice de NAO, auteur du pochoir Existe (à partir du sigle Existe d’Alexis Denuy), du pochoir NAO, et de celui de sa signature d’artiste KTY.